CM Version 5, Penelope Lively, Family Album (2009)

Des macaronis au fromage. Il reconnaît à l'odeur le plat dès son retour. Les enfants en raffolent. Il entre dans son bureau, avec l'intention de reprendre quelques points du manuscrit.
Quand il met le pied dans la pièce, il sent que quelque chose cloche. Il se dégage une impression de désordre, l'impression d'avoir été envahi. Le chien se laisse mollement tomber du fauteuil en remuant la queue. Mais le chien n'a rien à voir dans l'histoire. A présent, Charles a vu, il a vu par terre, sur le bureau.
Du papier. Mais du papier sous une forme que ne devrait jamais exister. Ce qu'il aperçoit c'est du papier découpé en ruban, en lambeaux, une tornade de longs fragments blancs comme des spaghettis de papier éparpillés sur la moquette, glissant vers le sol. Une tempête de papier qui a remplacé les feuilles du manuscrit soigneusement empilé qu'il avait laissé sur le bureau.
Il se précipite dessus. En bas du paquet, il repêche quelques pages encore intactes. Mais l'essentiel des pages a été massacré, anéanti, découpé pour n'être plus qu'une purée de bandes blanches sur lesquelles évoluent des bouts de mots, des lettres et des signes de ponctuation. Aucune récupération, aucun sauvetage n'est possible ; la personne qui a fait ça s'est appliquée à la tâche.
Charles s'empare d'une poignée de papier et fait irruption dans la cuisine. La famille est réunie, presque tous sont déjà à table, Alison s'affaire aux fourneaux devant un plat de macaronis au fromage fumant, tout doré et croustillant. Elle se tourne vers lui :
-Ah te voilà mon chéri... puis les yeaux écarquillés, Oh...
-Qui ? rugit Charles. Qui a fait ça ? Les lambeaux de papier s'échappent en cascade de ses mains.
Tous les visages sont à présent tournés vers lui. Tous semblent interloqués.
- Qui ? demande Charles, qui est à présent plus calme et déterminé. Qui est entré dans mon bureau, qui a découpé mon manuscrit ? Son regard se pose sur les huit visages tout à tour.. Et il réalise qu'il a offensé quatre des personnes présentes ; quatre l'ont fixé avec des yeux où se lisaient le ressentiment.
Silence. La main d'Alison semble suspendue dans le vide, une grande cuillère à la main. Paul regarde par la fenêtre. Gina a les yeux fixés sur son père. Le temps s'est arrêté.
Clare lance : - Alors on ne dîne plus ?